Dans l’univers de la pêche industrielle, la main-d’œuvre représente le seul coût variable. Dans le trafic d’ailerons de requins, plus précisément, cette main-d’œuvre est constituée de travailleurs parmi les plus vulnérables de la planète : des pêcheurs migrants.
Commentaires du capitaine Peter Hammarstedt, directeur de campagnes de Sea Shepherd Global.

Sea Shepherd inspectant des navires de pêche en compagnie des autorités tanzaniennes. Photo de Jax Oliver/Sea ShepherdSea Shepherd inspectant des navires de pêche en compagnie des autorités tanzaniennes. Photo de Jax Oliver/Sea Shepherd

Aux quatre coins de l’Océan indien occidental, des hommes provenant des régions les plus pauvres des pays en développement sont embarqués sur des navires sous normes. Au beau milieu des eaux internationales, loin des autorités chargées d’établir et de faire appliquer la réglementation, ils exercent, durant des heures longues et éprouvantes, la profession la plus dangereuse au monde.

De nos jours, les navires de pêche doivent rester plus longtemps au large et rapportent de moins en moins de poissons. Les coûts fixes, tels que le carburant et l’équipement de pêche, sont non négociables. Par conséquent, c’est le coût de la main-d’œuvre qui, à l’instar des requins, se voit soumis à des amputations.

La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) à l’échelle industrielle est presque toujours liée à d’autres délits. Toutefois, les infractions en matière de pêche restent en première ligne, dissimulant ces crimes qui, bien souvent, impliquent de terribles faits d’exploitation des travailleurs.

Les autorités tanzaniennes en train d'interroger l'équipage du Buah Naga 1. Photo de Jax Oliver/Sea ShepherdLes autorités tanzaniennes en train d’interroger l’équipage du Buah Naga 1. Photo de Jax Oliver/Sea Shepherd

Lorsque le Buah Naga 1, sous pavillon malaisien, a été intercepté par le navire de Sea Shepherd, l’Ocean Warrior, puis abordé par une coalition d’autorités tanzaniennes (citons entre autres, la marine tanzanienne, les autorités de pêche hauturière, une équipe d’intervention multi-agences [MATT, Multi-Agency Task Team] et l’agence tanzanienne pour le contrôle des stupéfiants), l’équipe d’arraisonnement a découvert les conditions de vie et de travail inhumaines de 14 pêcheurs indonésiens.

Le pont avant du navire leur servait de salle de bain et ils utilisaient les dalots (les sorties qui drainent l’eau de mer du pont) comme toilettes de manière à ce que les excréments soient évacués par les vagues. Dans la mesure où leurs quartiers ne comptaient pas assez de lits, les 14 membres de l’équipage – payés 350 dollars américains par mois – devaient se contenter de dormir sur les ponts extérieurs, protégés des éléments par de petites bâches en plastique.

Conditions de vie sur l'un des navires de pêche inspectés. Photo de Jax Oliver/Sea ShepherdConditions de vie sur l’un des navires de pêche inspectés. Photo de Jax Oliver/Sea Shepherd

Quand les enquêteurs de la MATT ont découvert un Beretta de 9 mm chargé dans la cabine du capitaine chinois, il leur a été confié que les pêcheurs indonésiens étaient régulièrement menacés avec l’arme et se voyaient refuser de la nourriture et de l’eau lorsque la pêche était mauvaise. La plupart du temps, les pêcheurs migrants travaillant à bord des navires de pêche INN passent entre 18 et 20 heures par jour sur le pont.

Les capitaines de navires de pêche ont un pouvoir absolu en mer : ils peuvent refuser de payer des salaires en prétextant des violations de contrat — contrats qui, soit dit en passant, sont toujours rédigés en faveur des patrons, et dont les termes sont interprétés et appliqués à la seule discrétion du capitaine.

Douze pêcheurs tanzaniens partagent une chambre et seulement deux lits sur ce navire de pêche. Photo de Jax Oliver/Sea ShepherdDouze pêcheurs tanzaniens partagent une chambre et seulement deux lits sur ce navire de pêche. Photo de Jax Oliver/Sea Shepherd

Les autorités ont également fait la découverte d’une cargaison d’ailerons de requin dissimulée à bord du Buah Naga 1, ce qui constitue une violation de la réglementation tanzanienne en matière de pêche. Le navire a été arraisonné et emmené au port de Mtwara pour une enquête plus approfondie.

À l’heure actuelle, la MATT travaille sur la poursuite pénale du Buah Naga 1 avec l’aide du bureau du Procureur général, tandis que la police tanzanienne assiste le gouvernement indonésien dans le rapatriement de ses 14 ressortissants. Ces derniers avaient demandé aux enquêteurs de les aider à rentrer chez eux.

Les autorités tanzaniennes sont venues en aide à 14 Indonésiens pour qu'ils puissent regagner leur pays. Photo de Jax Oliver/Sea ShepherdLes autorités tanzaniennes sont venues en aide à 14 Indonésiens pour qu’ils puissent regagner leur pays. Photo de Jax Oliver/Sea Shepherd

Les pêcheurs migrants embarqués sur des navires étrangers vivent dans la peur de se voir abandonner dans un pays qui n’est pas le leur. Généralement, les navires sur lesquels ils travaillent sont enregistrés pour des sociétés fictives qui ne peuvent, par conséquent, pas être tenues responsables de leurs bateaux ni de leurs équipages. En raison du grand nombre de pêcheurs indonésiens travaillant à l’étranger, le gouvernement indonésien mène une lutte contre l’exploitation des pêcheurs migrants. Ils prennent notamment en charge les frais de rapatriement de leurs ressortissants prisonniers de situations de travail abusives.

La pêche INN n’est rendue possible que par la convergence d’autres activités criminelles. En effet, il est peu probable que des opérateurs de pêche pour qui les réglementations environnementales n’ont aucune importance tiennent compte des droits humains des personnes travaillant à bord de leurs navires. La Tanzanie défend avec succès l’approche consistant à poursuivre les braconniers non seulement pour leurs violations présumées en matière de pêche, mais aussi pour d’autres crimes liés à celles-ci et souvent passibles de peines plus sévères que celles prévues pour la pêche illégale.

Ailerons de requins sur le pont du Tai Hong 1 découverts lors de l'inspection du navire. Photo de Jax Oliver/Sea ShepherdAilerons de requins sur le pont du Tai Hong 1 découverts lors de l’inspection du navire. Photo de Jax Oliver/Sea Shepherd

Sans les patrouilles en mer, la libération des 14 pêcheurs indonésiens embarqués sur le Buah Naga 1 et l’arraisonnement du navire n’auraient pas été possibles. Voilà un bel exemple de l’importance du partenariat de Sea Shepherd avec le gouvernement tanzanien et l’organisation Fish-i Africa pour faciliter les arraisonnements et les inspections dans la zone économique exclusive (ZEE) de la Tanzanie.

Ce sont les vides juridiques qui permettent aux braconniers de sévir. Il va de soi que les travailleurs en mer ne connaîtraient pas de telles situations si les criminels qui les exploitent n’étaient pas hors de portée des forces de l’ordre. Le fait que Sea Shepherd ait pris la mer pour participer à la lutte de la Tanzanie contre la pêche INN ouvre de nouveaux horizons : ces braconniers ne sont plus seulement à portée de main, ils peuvent désormais être appréhendés et ramenés dans des ports où ils pourront être traduits devant la justice tanzanienne.