Explications de Lamya Essemlali, Présidente de Sea Shepherd France

Opération Grande America

J’ai conscience que les conflits entre associations sont souvent mal perçus du grand public mais gardons à l’esprit que toutes les associations ne sont que des outils au service d’une cause qui les dépasse. Lorsqu’une association fait passer son hégémonie et ses propres intérêts avant la cause qu’elle prétend incarner alors elle commence à faire partie du problème et plus de la solution. L’omerta qui entoure trop souvent ces comportements déviants leur permet de perdurer et de nuire sur le long terme. Derrière les sourires et les discours de façade qui prônent l’unité, des actes malveillants s’opèrent dans l’ombre. Ce sont les mêmes qui disent qu’on doit se serrer les coudes” qui s’offusquent ensuite que nous puissions “laver le linge sale en public” révélant ainsi qu’ils font le contraire de ce qu’ils prêchent officiellement. Mais obliger les auteurs de ces pratiques à s’en expliquer publiquement est le seul moyen d’y mettre un terme. Les premières victimes de ces agissements sont les animaux. Pour ma part, je refuse de me taire.

Nous avons tenté dès les premières heures après le naufrage du Grande America, d’installer une structure provisoire de soins d’urgence pour oiseaux mazoutés en Aquitaine. Cette initiative a provoqué une véritable levée de bouclier de la LPO (Ligue pour la Protection des oiseaux) et nous avons décidé de mettre en veille le dispositif de crise établi à Darwin écosystème à Bordeaux. Afin que ce projet puisse un jour se réaliser sans entrave, il nous apparait nécessaire de faire la lumière sur ce qui s’est passé.

Je tiens également à préciser avant toute chose que contrairement à ce dont m’a accusée Allain Bougrain Dubourg, Président de la LPO, le constat que nous faisons ne remet aucunement en question la sincérité et la bienveillance avec laquelle les bénévoles ont pu travailler sous la direction de la LPO sur les dernières marées noires ou y travaillent encore dans les centres de soins. S’ils mettent tout leur cœur à l’ouvrage, ils ne décident pas de la façon dont sont menées les opérations et méritent que les meilleures décisions soient prises afin de valoriser leur travail et leurs efforts.

L’article ci-dessous est long mais le sujet est complexe et suffisamment grave pour mériter un état des lieux et des exemples sourcés. Lecture réservée aux personnes se sentant concernées par le sujet.

 “Sea Shepherd n’a pas à s’occuper des oiseaux marins” Allain Bougrain Dubourg

Au deuxième jour du naufrage du Grande America, nous avons décidé de monter une cellule de crise à Bordeaux en créant une coalition réunissant Sea Shepherd, le Biome et Darwin Ecosystem. L’objet de cette coalition était de rassembler les compétences dans les domaines aussi variés que les soins apportés aux animaux mazoutés, la logistique de crise et la communication. Sea Shepherd dispose d’un réseau national et international dont l’expérience en gestion de crise marée noire a largement fait ses preuves. Philippe Barre, Directeur de Darwin Ecosystème a informé le Centre LPO du bassin d’Arcachon de nos intentions et dès nos premières communications, nous avons renvoyé toutes les personnes qui suivent nos pages vers les centres de soin LPO existants en fournissant adresses et numéros de téléphones des centres en question.

En parallèle, nous communiquions sur cette intention que nous avions de mettre en place ce fameux centre de soins dans l’éventualité où les centres existants se retrouvaient saturés par une arrivée massive d’oiseaux mazoutés, comme ça a été le cas lors des précédentes marées noires. Mal nous en a pris. Cette initiative a provoqué une véritable levée de boucliers de la LPO, à commencer par son Président Allain Bougrain Dubourg et son directeur Général Yves Verhilac.

En effet, j’ai annoncé notre initiative sur le plateau de LCI le vendredi 15 mars, en arguant du fait que nous ne sommes pas prêts en France, à soigner en urgence un nombre potentiel de plusieurs milliers d’oiseaux. Allain Bougrain Dubourg me téléphone quelques heures plus tard pour me fustiger et me signifier de m’occuper de mes affaires “Les oiseaux marins ne sont pas du domaine d’action de Sea Shepherd” me dit-il. Dans la même veine, Céline Maury, directrice du Centre de soin Hegalaldia (qui travaille en réseau avec la LPO) déclare sur les réseaux sociaux qu’ils doivent se soutenir “contre l’ingérence de Sea Shepherd”. Si on prend la définition d’ingérence, il s’agit du fait “de se mêler des affaires privées d’autrui sans en avoir le droit”. Ainsi donc, le secours aux oiseaux mazoutés serait donc devenu l’affaire privée et exclusive des centres de soins existants… Intéressant.

Quelques jours plus tard, Le Directeur de la LPO, Yves Verhilac me reproche dans un email “de faire des déclarations fausses sur les statistiques de sauvetage lors de l’Erika et de tenir des propos diffamatoires contre la LPO”.

En réponse, j’invite Yves Verhilac à consulter le rapport officiel post Erika remis au Ministère sur le BNEOM mais aussi, pourquoi pas, le site internet de la LPO… On peut y lire que le taux de survie des oiseaux traités pendant l’Erika n’est pas de 7% comme je l’avais dit mais de 6%. La LPO était coordinatrice de cette marée noire et contrairement à ce qui est invoqué par ABD comme étant la raison de l’hécatombe d’oiseaux recueillis, la nature du fioul a peu à y voir. Plusieurs centres de soins à l’étranger (mais aussi en France) en ont maintes fois fait la démonstration, dans des conditions similaires.

J’ose donc aborder la question des protocoles utilisés. Mais au téléphone, ABD me martèle : “Je ne peux pas entendre que nos protocoles ne sont pas bons !”, “Si vous arrivez à faire mieux, je vous tirerai mon chapeau”. Pourtant, la question des protocoles ne date pas d’hier et elle mérite de se poser de façon transparente et sans complexe, si on veut enfin avancer. En 1979 on peut déjà lire dans le rapport post marée noire “Amoco Cadiz et les oiseaux” remis au Ministère de l’Environnement : “Il y’avait d’un côté la S.E.P.N.B et tous les centres qu’elle contrôlait ou qu’elle conseillait appliquant tant bien que mal un traitement mis au point par des scientifiques britanniques, hollandais et américains et désormais appliqué partout dans le monde, de l’autre la Direction du centre LPO de Perros Guirec s’obstinant à employer – et plus grave – à diffuser une technique totalement périmée et dont la nocivité était depuis longtemps scientifiquement démontrée.” Des dysfonctionnements importants ont également été relevés dans les protocoles utilisés pendant l’Erika mais une omerta totale plane à ce sujet alors que la transparence et l’humilité devraient être de mise. Il y va de l’intérêt des oiseaux mais aussi du respect des bénévoles, abordé dans le même rapport où je cite ” l’entêtement de la LPO à employer des protocoles obsolètes créait je cite “un climat de désarroi chez les soigneurs des centres des Côtes du Nord qui se sont assez vite rendu compte de l’inanité de leurs efforts en employant la méthode dictée par leur direction, ce qui a aussi eu pour effet de provoquer de graves tensions au sein même du centre de Perros Guirec”.

L’autre question qui se pose et qui m’amène à publier tout ça, est : pourquoi notre initiative de centre de soins a-t-elle été bloquée ? Avant de littéralement me raccrocher au nez, Allain Bougrain Dubourg m’a gentiment avertie que pour ouvrir le centre de soins que nous souhaitions, il nous faudrait des autorisations et qu’il se chargeait “de faire remonter” à qui de droit, le fait qu’il est impossible de discuter ou de coopérer avec nous. Sachant qu’il est coutumier de ce genre de pratiques (je commence à avoir une bonne liste de témoignages) et connaissant sa proximité avec les cercles du pouvoir, je n’ai pas été surprise du refus d’autorisation que nous avons essuyé. Les bruits de couloirs qui nous sont revenus sur les discussions internes qui ont entouré cette affaire se résument à ceci : “Pas question de laisser Sea Shepherd réaliser une “OPA sur la LPO”.

Le terme d’OPA (Offre Publique d’Achat), illustre parfaitement la façon dont l’oiseau mazouté est perçu par certains, aussi cynique que cela puisse paraitre.

Pourtant, si on doit parler finances, il est grotesque d’imaginer que Sea Shepherd qui fait office de mini pouce devant la LPO, puisse réaliser une quelconque OPA (1 salariée et 1,2 million d’euros pour Sea Shepherd France, 167 salariés et 14 millions d’euros pour la LPO, dont plus de 5 millions d’euros de fonds publics, soit un budget bien plus important que Sea Shepherd à l’échelle mondiale). Qu’on s’entende bien, je ne reprocherais jamais à une association qui défend les animaux d’avoir “trop d’argent”. La question est surtout de savoir ce qu’elle en fait et si l’image qu’elle cultive est conforme à la nature de ses actions.

D’un côté la LPO affirme qu’elle gère parfaitement la situation (comprendre : on n’a pas besoin de Sea Shepherd) et dans le même temps, le centre de soins LPO de Buoux en région PACA annonce qu’il a fermé ses portes aux animaux en détresse depuis le 7 février dernier, faute de financement (il lui manquerait 80 000 euros)… Quand il a été suggéré que la LPO nationale puisse aider ce centre, notamment avec d’éventuels don/legs non affectés ou une partie des importants fonds publics perçus, on nous a répondu que cela ne relevait pas de sa prérogative. Pourquoi pas mais il convient alors d’être transparent sur le fait que les centres de soins ne sont en aucun cas une priorité pour la LPO et cela rend encore plus illégitime son opposition farouche à voir d’autres acteurs intervenir.

post De Rugy

Cette affaire d’hégémonie sur les oiseaux marins est déjà surréaliste en soi mais elle tourne au grotesque lorsque le “copyright LPO” tente de s’inscrire aussi sur les dauphins. Ne voilà-t-il pas qu’à quelques jours d’intervalle, le même Allain Bougrain Dubourg qui m’explique que Sea Shepherd n’est pas légitime pour s’occuper des oiseaux marins se pose en tant qu’expert dans les médias sur les captures de dauphins sans jamais nous citer et cela, en pleine mission de Sea Shepherd sur ce sujet en France ?

Cerise sur le gâteau, François De Rugy annonce également par communiqué de presse qu’il va désormais travailler en étroite collaboration avec FNE (France Nature Environnement) et la LPO afin de profiter de leur “expertise en matière de pêche accidentelle de dauphins” dans le cadre du Plan National d’Action qu’il met en place pour réduire les captures. Je serais curieuse de savoir en quoi consiste l’expertise de la LPO dans le domaine. Pas une ligne sur le sujet sur leur site internet et il suffit d’entendre ABD sur le sujet pour voir qu’il ne le maitrise pas. Etonnamment, Sea Shepherd, dont c’est l’une des spécialités depuis plus de 40 ans, seule ONG présente sur les lieux des captures et dont l’Opération Dolphin Bycatch a braqué les projecteurs internationaux sur le problème comme jamais auparavant, n’est pas conviée à la table de travail. Sans surprise, les quatre axes de travail déjà annoncés par De Rugy sur ce plan national s’avèrent être une vaste fumisterie, voir un “foutage de gueule” en règle que nous ne manquerons pas de dénoncer.

Il est vrai que nous n’avons pas les entrées de la LPO au Ministère. Notre réputation nous précède (et nous ferme les portes de certaines institutions) cela fait partie du jeu. En revanche, nous ne renonçons jamais à un combat, tout comme nous ne laissons jamais qui que ce soit interférer avec nos missions de protection des océans et nous dicter ce que nous pouvons ou ne pouvons pas faire. Notre mission inclut les oiseaux marins, que cela plaise ou non à nos ennemis, ou à ceux qui prétendent être nos amis tout en nous tendant des pièges dans l’ombre. Comme je l’ai dit à Allain Bougrain Dubourg, Sea Shepherd est ouvert à une collaboration avec l’ensemble des acteurs qui s’investissent dans la défense des animaux marins. Mais pour que cela marche, les motivations de chacun doivent être saines.

Il est plus que temps de mettre un coup d’arrêt à cette gangrène intestine qui ronge le milieu associatif de l’intérieur depuis de nombreuses années et qui l’empêche d’être à la hauteur des enjeux. C’est peut-être un vœu pieu. Mais les bénévoles qui se dévouent corps et âme pour nos associations et les donateurs qui financent les missions méritent bien ça. Et surtout, première des considérations en ce qui me concerne, les animaux méritent bien ça.