
Article de Lamya Essemlali – Présidente Sea Shepherd France
Le Ministère espagnol a récemment refusé l’octroi du permis d’importation pour les douze dauphins et les deux orques du Marineland d’Antibes.
La raison invoquée fait référence à une taille, un volume et une profondeur des bassins non adaptées aux besoins des animaux de ces espèces. L’Espagne serait-elle soudainement en train de réaliser que ses delphinariums ne sont pas aptes à détenir des cétacés ?
Nous avions averti la Ministre Agnès Pannier-Runacher que le transfert qu’elle envisageait vers les delphinariums espagnols serait une tragédie et nous avons lancé une pétition qui compte presque 100 000 signatures, lui demandant de ne pas signer les permis d’exportation. Nous avions également publié quelques jours auparavant des photos montrant l’état de délabrement honteux dans lequel se trouvait le delphinarium de Madrid lorsqu’il détenait encore des dauphins (aujourd’hui envoyés en Asie) et annoncé la publication d’un rapport accablant sur le Loro Parque de Tenerife, censé recevoir les deux orques Wikie et Keijo, en plus de deux dauphins, Sharky et Malou.
Si nous nous sommes évertués à convaincre la Ministre française, c’est finalement le Ministère espagnol qui a refusé l’importation des 14 cétacés français en raison des conditions « d’accueil » de qualité insuffisante. Du moins, il s’agit de la raison officielle invoquée.
Mais il y a sans doute une autre raison, plus officieuse et bien moins avouable : la crainte que tous les regards ne se portent soudainement sur les delphinariums espagnols. Des projecteurs gênants qui mettront en lumière aux yeux du monde comme jamais auparavant, les conditions dans lesquelles sont détenus les cétacés dans les établissements espagnols. Nul doute que si les cétacés français sont envoyés en Espagne, l’opinion publique, les médias et le mouvement anti-captivité français auraient traversé la frontière. L’Espagne détient encore près de 80 dauphins captifs, c’est le pays d’Europe qui compte le plus de delphinariums. Autant dire que l’enjeu est de taille et que le gouvernement espagnol préfère que le gouvernement français gère seul sa patate chaude. Bien plus qu’un soudain intérêt pour les conditions de vie des cétacés maintenus captifs sur le sol espagnol, ce sont donc vraisemblablement des considérations purement politiques et économiques qui motivent la décision espagnole.
Un point essentiel n’a pas été évoqué par le Ministère espagnol cependant.
Outre les conditions de détention inadéquates liées à la taille, au volume et à la profondeur des bassins, la composition dysfonctionnelle du groupe d’orques à Loro Parque est très préoccupante.
Mike Ridell, ancien directeur du Marineland s’est d’ailleurs empressé de s’engouffrer dans la brèche. Dans une lettre ouverte à la Ministre Agnès Pannier-Runacher, il explique qu’« au moins à Loro Parque, Wikie et Keijo auront une famille ». La publication de notre rapport sur Loro Parque est l’occasion de lui répondre sur ce point. Certes, la situation de Wikie et Keijo est très loin d’être idéale car leur duo n’est pas « normal ».
Mais non, ils ne trouveront pas une « famille » à Loro Parque, tout juste deviendront-ils eux aussi victimes d’agressions, de violence, de harcèlements de la part de leurs compagnons d’infortune… Le rapport accablant que nous publions sur notre site explique le niveau anormal d’agression entre les orques de Loro Parque dont le groupe a une structure et des interactions complètement dysfonctionnelles, empirées par les conditions de détention et la configuration des bassins. Une situation rendue encore plus tendue depuis la naissance récente du bébé de l’orque Morgan (qui n’était pas encore né au moment de la rédaction du rapport). Ce rapport a été envoyé à la Ministre française et à ses équipes afin de les alerter sur les dangers liés à un tel transfert, en plus de l’illégalité totale de la démarche, la loi de 2021 étant très claire sur l’interdiction de l’exploitation commerciale et de la reproduction des cétacés. En effet, Loro Parque manque de transparence sur beaucoup de choses mais pas sur ses intentions assumées d’exploiter commercialement Wikie et Keijo et de les utiliser à des fins de reproduction.
Extrait du rapport concernant l’orque Morgan (d’autres dysfonctionnements et agressions sont relevés concernant les autres orques). : Un nombre sans précédent environ 70 heures), y compris des éperonnages, des morsures (plus de 350 marques de morsures ont été photographiées) et un harcèlement sévère au point que Morgan tente d’éviter les altercations en se hissant hors de l’eau sur les rebords en béton entourant les réservoirs
Le fait est qu’une autre voie est possible pour ces 14 cétacés et sans doute pour beaucoup d’autres. Avec une industrie de la captivité en déclin, les sanctuaires offriront la seule option éthique et honorable pour ces animaux qui pendant des années ont été utilisés pour divertir le public et pour enrichir de grands groupes. L’Europe et ses 180 000 kilomètres de littoral nous offrent de multiples opportunités pour peu que la volonté politique soit au rendez-vous, poussée par l’évolution des lois et des mœurs. Nous communiquerons dans le détail très prochainement sur les différentes options possibles sur le continent européen.
Lien vers le rapport complet sur Loro Parque (rédigé avant la naissance récente du bébé de l’orque Morgan) en français et en anglais (in English).
Liens vers les autres articles traitant de ce dossier :
- Orques du Marineland, une alternative est encore possible
- Lettre ouverte aux soigneurs et soigneuses du Marineland d’Antibes
- Marineland : notre proposition de reprise
- Sea Shepherd France mobilise 5 millions d’euros pour sauver les 14 cétacés du Marineland d’Antibes
- L’Espagne refuse le transfert des 14 cétacés du Marineland. Quelle suite pour les animaux et les soigneurs ?