• À Saint-Brieuc, l’État français sacrifie la biodiversité marine au climat

La lutte contre le changement climatique s’est imposée comme un défi majeur des décennies à venir. Nous devrons le relever si nous voulons maintenir des conditions propices à la survie de l’humanité. Mais un défi autant, si ça n’est plus important est encore trop largement occulté : la préservation de la biodiversité, première garante du climat et de l’ensemble des services écosystémiques essentiels au maintien de la Vie sur la planète Terre.

Ou plutôt la planète Océan. L’océan recouvre 70% du globe, il est le premier régulateur du climat, premier producteur d’oxygène et premier puits de carbone, avant les forêts. L’océan, ou plus précisément, la vie marine, est notre meilleure alliée dans la lutte contre le changement climatique1. Le non-sens est donc total quand des projets particulièrement invasifs de centrales éoliennes censés lutter contre le changement climatique sont autorisés à s’ériger sur des sites riches en biodiversité, hypothéquant la survie de nombreuses espèces marines et vouant à une destruction irréversible des écosystèmes marins tout entiers.

image: Sea Shepherd France
  • Une usine industrielle portée par une multinationale espagnole dans la baie qui abrite la plus grande réserve naturelle de Bretagne

La multinationale espagnole Iberdrola via sa branche française Ailes Marines s’est vue attribuer par le gouvernement français le site particulièrement riche en biodiversité de la baie de Saint-Brieuc, à proximité directe de sites Natura 2000 et en pleine zone habitat de nombreuses espèces protégées dont certaines sont en danger critique d’extinction, à l’instar du Puffin des Baléares pour la préservation duquel la France a été contrainte de mettre en place un Plan National d’Action (PNA). Si le promoteur espagnol profite du cadeau, c’est l’État français (sous le gouvernement Sarkozy) qui a, en dépit du bon sens, désigné la baie de Saint−Brieuc pour y faire ériger 62 éoliennes de plus de 200 mètres de haut (l’équivalent de la tour Montparnasse) à 16,3 kilomètres de la côte sur une surface totale de plus de 103 km carrés avec un câblage électrique sous-marin et sous terrain qui acheminera un courant de 250 000 volts…

Quelques questions élémentaires s’imposent d’emblée :

– Comment le gouvernement français peut-il justifier d’avoir autorisé un projet industriel à ce point invasif dans ce lieu stratégiquement si important pour la biodiversité marine ?

– Pourquoi n’avoir pas tenu compte du fait que le plancher marin dans la baie est un des sols des plus durs d’Europe ? Y forer provoque donc des vibrations et des bruits dont l’intensité est décuplée en termes de temps et d’effets. La multinationale annonçait pouvoir réaliser un ancrage (forage de 3 trous pour une éolienne sur fondation Jacket) en 4 jours. Trois mois plus tard et après avoir cassé ses trois têtes de forage, pas un seul ancrage n’a pu être fait. Sur d’autres types de sols, une seule demi-journée suffit…

– Pourquoi les résultats de l’analyse de la pollution générée en juin par l’Aeolus, (navire de forage d’Iberdrola) n’ont toujours pas été rendus publics ? Quid de la deuxième fuite plus récente ?

Le Clémentine près de l’Aeolus – Crédit Photo : Sea Shepherd
  • Une atteinte inacceptable à la biodiversité marine

La baie de Saint-Brieuc abrite la plus grande réserve naturelle de Bretagne, les deux premières zones de nidification d’oiseaux marins de métropole et la plus grande population de dauphins résidents d’Europe.

Les études d’impact réalisées, non pas avant d’avoir désigné le site comme la logique l’aurait voulu mais après, sont sans appel. Des impacts désignés « forts » à « très forts » sur de nombreuses espèces marines laissent présager le pire. En effet, de l’aveu même du bureau d’études mandaté par Iberdrola, pour certaines espèces, la survie de la population n’est pas assurée (Pingouin Torda et Guillemot de Troil entre autres).

  • Obligation légale de préservation des espèces : les dérogations de destruction d’espèces protégées accordées à Iberdrola sont illégales

Aussi bien l’État français que le promoteur industriel sont soumis à l’obligation légale de préserver les espèces dans un « état de conservation favorable ». Du fait de la présence de très nombreuses espèces protégées dans la baie de Saint−Brieuc, Iberdrola/Ailes Marines a été contraint de déposer une demande de dérogation de perturbation intentionnelle et de destruction de 59 espèces protégées (54 espèces d’oiseaux marins, 4 espèces de dauphins et une espèce de phoque) ainsi que la destruction de leur habitat.

  • La riposte juridique

Sea Shepherd France dénonce le fait que ces dérogations de destruction et de perturbations intentionnelles sont illégales et va donc déposer un recours devant le Conseil d’État dans les prochains jours.

D’autres recours sont en préparation au niveau européen, conjointement avec l’association Gardez Les Caps qui milite depuis de nombreuses années aux côtés de certains pêcheurs pour empêcher l’usine de s’installer dans la baie.

  • Des citoyens français désinformés sur les enjeux écologiques, économiques et énergétiques liés à l’industrie du Vent

« La Ministre de la Transition Ecologique, Barbara Pompili affirme que la majorité des français est en faveur des éoliennes. La vérité est que la majorité des français ne dispose pas des informations pour se faire un avis éclairé sur le sujet » déclare Lamya Essemlali, Présidente de Sea Shepherd France. « Sacrifier la biodiversité marine, notre meilleure alliée contre le changement climatique au prétexte de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre est un non-sens total ».

  • Les experts et les scientifiques alertent mais jusqu’ici, ils prêchent dans le désert

Le Conseil National pour la Protection de la Nature (CNPN), rattaché au Ministère de la Transition Ecologique dont les recommandations n’ont jusqu’ici pas été respectées par Iberdrola s’est autosaisi de la problématique des EMR (Energies Marines Renouvelables) et vient de rendre son rapport le 6 juillet dernier. On peut y lire de nombreux points particulièrement inquiétants dont notamment celui-ci :

« Les impacts potentiels sur la biodiversité́ représentés par le développement de l’éolien offshore en France, tel que prévu par la PPE de 2020 (…) peuvent être très importants sur la biodiversité́ marine, en premier lieu sur l’avifaune reproductrice, migratrice et hivernante provenant de l’Europe entière ainsi que les chauves-souris migratrices ou locales par mortalité́ ou perte d’habitat sur les mammifères marins par perte partielle d’habitats, et sur les habitats marins et espèces les composant, notamment les poissons, crustacés et mollusques par modifications physiques, hydrologiques et chimiques »

Ou encore,

« L’objectif de la Commission européenne qui pourrait se traduire par l’équivalent de 34 000 éoliennes off-shore en 2050 dont 7100 pour la France semble incompatible avec la survie de nombreuses espèces d’oiseaux marins. »

L’Aethra – Crédit Photo : Sea Shepherd
  • Des effets cumulés par plusieurs usines éoliennes installées sur les parcours migratoires des oiseaux et des mammifères marins

Le projet de Saint−Brieuc est donc loin d’être le seul à poser problème, d’autres comme ceux de Courseules-sur-Mer, Fécamp, Saint Nazaire, Dunkerque, Ile d’Oléron, Belle Ile en mer et Ile de Groix… présentent des menaces similaires pour des espèces marines vulnérables et il n’existe à ce jour aucune prise en compte des effets cumulés des différents projets sur les espèces protégées et en particulier sur les espèces migratrices.

  • Il est encore temps d’éviter le pire mais l’opinion publique doit s’emparer du sujet de toute urgence

Un débat public honnête et transparent (contrairement aux débats publics qui se sont tenus jusqu’à présent) s’impose afin de déterminer dans quelles conditions les usines éoliennes peuvent être autorisées à détruire les milieux naturels et surtout, quels écosystèmes doivent absolument en être préservés.

Des équipes de Sea Shepherd seront présentes dans la baie de Saint−Brieuc ces prochaines semaines pour documenter, alerter, sensibiliser l’opinion publique et se faire l’échos des alertes scientifiques sur ces enjeux cruciaux. Un moratoire sur les projets de centrales éoliennes en mer doit être instauré de toute urgence tant qu’une feuille de route environnementale stricte ne sera pas mise en place. Si cette industrie a véritablement vocation à relever le défi environnemental du siècle, la préservation de la biodiversité doit être pour elle, une priorité. A défaut de quoi, le « remède éolien » risque de s’avérer pire que le mal.

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