L’objectif de développement des énergies renouvelables ne peut pas primer sur la protection du vivant quels que soient nos opinions politiques et nos engagements personnels. Il est encore temps de repenser la pertinence du projet d’Iberdrola. C’est un exercice de responsabilité. La réalité doit être regardée en face : mal zoné dès l’origine, le projet éolien de la baie de Saint-Brieuc est dans une impasse environnementale. Une décision lucide doit conduire à l’abandonner.
Au regard de ce constat, après avoir déposé plainte devant le Conseil d’État le 7 janvier dernier pour contester 59 dérogations de destruction d’espèces et d’habitats protégés accordées à l’industriel espagnol Iberdrola, Sea Shepherd France et Gardez les Caps viennent de porter l’affaire devant la Commission européenne.
De l’impréparation à l’impasse
Le chantier en mer a débuté le 3 mai 2021, il confirme les nombreux manquements identifiés depuis 2012, et auxquels il n’a pas été remédié : la légalité du projet d’éoliennes en mer de la baie de Saint-Brieuc est contestée depuis 2012.
En 2011, le site de la baie de Saint-Brieuc a été arbitrairement désigné par l’État français « zone propice » non modifiable pour de l’éolien industriel, sans aucune évaluation environnementale préalable, ni enquête publique. De ce fait, toutes les évaluations ultérieures du site n’ont eu pour fonction que de valider le choix initial de l’emplacement, et non de procéder à son évaluation, quelles qu’en soient les conséquences pour la biodiversité et malgré les impasses environnementales sérieuses qui ont été identifiées.
Or, les six premiers mois du chantier éolien en 2021 ont abouti, outre des pollutions successives, à la réalisation de seulement trois fondations d’éoliennes sur les 30-32 fondations annoncées par l’opérateur (sur un total de 62 fondations). Aucune vérification indépendante de ces données n’a été diligentée, aucune explication précise de cet échec n’est fournie et aucune modification de la nature des travaux ne semble envisagée. Au contraire, RTE, le gestionnaire du réseau électrique français poursuit actuellement des travaux contestés sur la partie terrestre du raccordement électrique du projet. La reprise des travaux en mer paraît imminente.
Cette situation met en évidence l’impréparation du chantier et l’incapacité de l’opérateur éolien à s’adapter aux obstacles rencontrés.
C’est encore une fois l’environnement qui paye le prix fort de ces manquements de l’État et de l’opérateur.
L’attitude des autorités françaises montre également une volonté de poursuivre le projet éolien de Saint-Brieuc quelles qu’en soient les conséquences sur l’environnement : l’impasse manifeste du chantier ne semble conduire à aucun questionnement.
Sea Shepherd France et Gardez les Caps en appellent à l’intervention de la Commission européenne afin qu’il soit remédié aux manquements du chantier éolien de Saint-Brieuc aux règles applicables au rejet de substances polluantes en mer, à la planification de l’espace marin, ainsi que les règles applicables aux espèces et aux habitats protégés.
Nos associations relèvent plusieurs infractions au droit de l’Union européenne :
- Plusieurs pollutions marines ont été relevées depuis le début des travaux en mai 2021 [en juin 2021 et en juillet 2021]. Il s’agit d’un manquement à la directive 2005/35 du 7 septembre 2005 relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions en cas d’infractions.
- Dommages causés à l’environnement résultant du bruit, de la turbidité, de rejets de sédiments et éventuellement des rejets de substances polluantes dus auxdits forages réalisés sans la moindre garantie d’une réalisation effective.
- Absence d’évaluation environnementale préalable du périmètre retenu pour le projet d’éolien en mer de Saint-Brieuc : l’étude d’impact telle qu’elle a été menée revient à valider le choix de l’emplacement et non à l’évaluer.
- Le périmètre du projet éolien de Saint-Brieuc y compris son raccordement électrique est situé dans une zone Natura 2000 et entouré de six autres zones Natura 2000. Il apparaît que la baie de Saint-Brieuc elle-même devait faire l’objet d’une protection et figure sur la liste des sites d’intérêt communautaire.
Les risques pour les oiseaux marins comprennent notamment le risque de collision, la perte d’habitat, l’effet barrière et la perte de zones de reproduction et de repos du fait du projet éolien en Baie de Saint-Brieuc. Les mesures de compensation proposées par le promoteur sont inadéquates et insuffisantes comme le stipule notamment l’auto-saisine du CNPN (Conseil National pour la Protection de la Nature) publiée en juillet 2021.
Il est également relevé que certaines espèces n’ont pas été étudiées spécifiquement alors que les circonstances justifiaient qu’elles le soient (par exemple les chauves-souris en baie de Saint-Brieuc, notamment la Pipistrelle de Nathusius – espèce migratrice protégée qui risque d’être impactée par le projet).
De plus, le chantier de Saint-Brieuc fait courir aux mammifères marins, et notamment au marsouin commun, des risques liés à l’exposition aux bruits sous-marins de construction du site et à la perte d’habitats. Or les études mises en œuvre ne correspondent pas aux conditions réelles du bruit auxquels ces espèces protégées vont être exposées.
Nos associations relèvent également la proximité immédiate d’un site Natura 2000, avec la présence de gorgones et de coraux.
Concernant ces espèces marines, il existe un manquement grave au principe de précaution car les études réalisées ne permettent pas d’apprécier l’effet des travaux sur leur conservation. [Il n’existe pas d’évaluation appropriée des incidences.]
- Les autorisations de destructions d’espèces et d’habitats protégés ont été accordées à l’industriel sans prendre en compte les réserves précises des instances françaises chargées de la protection de l’environnement, notamment du Conseil national de la protection de la nature formulées déjà en 2016 (avis CP N° 2016-1 du 6 juin 2016) et confirmées dans un avis de juillet 2021.
- Décalage entre le calendrier des travaux annoncés et les travaux effectivement réalisés.
Cette situation pose autant la question de la compétence de l’opérateur que celle de l’abstention volontaire des autorités françaises de combattre les dommages qui en résultent. l’opérateur du projet éolien en mer de Saint-Brieuc ne maîtrise manifestement pas le chantier, lequel relève plus d’une expérimentation grandeur nature que d’une construction.
L’opérateur a fait référence par voie de presse à la dureté de la roche (filons souterrains de dolérite) dans le périmètre du projet alors que cette caractéristique est connue de longue date (et en tout cas dès l’époque de la fixation invariable du périmètre du projet).
- Le public et nos associations n’ont pas pu exercer leur droit à l’information et à la participation à la décision relative au projet d’éolien en mer de Saint-Brieuc. Au contraire, le public s’est vu imposer le choix initial du projet et de son périmètre, opéré sans transparence et préalablement à tout débat public.