Nous étions le 15 novembre dernier devant la Cour d’appel de Pau pour défendre les mammifères marins du Golfe de Gascogne contre le projet d’interconnexion sous-marine porté par RTE et soutenu par la Surfrider Foundation.
Pour rappel, ce projet de 3,1 milliards d’euros fait état de nombreuses défaillances : étude d’impact insatisfaisante, avis négatif du Conseil National pour la Protection de la Nature (CNPN), mesures de compensation très insuffisantes, omission de la présence de nombreuses espèces, violation du principe de précaution…
La société RTE faisait appel de la décision de justice rendue en août dernier par le tribunal de Bayonne qui permettait pourtant d’appliquer les règles de base du principe de précaution en ordonnant la suspension des travaux de bathymétrie le temps de mettre en place une zone d’exclusion afin de protéger les mammifères marins et de produire une nouvelle étude d’impact.
Le 28 janvier dernier le juge des libertés et de la détention de la cour d’appel de Pau a confirmé la décision rendue par le tribunal de Bayonne suite à la requête de Sea Shepherd France, Landes Aquitaine Environnement et Défense des Milieux Aquatiques (DMA)
Dans sa décision du 14 août 2024, le juge de Bayonne avait enjoint à RTE de réaliser une évaluation des incidences de ses travaux de bathymétrie. Cette évaluation réalisée quasiment à la fin des travaux qui conclut à l’absence d’impact des travaux de bathymétrie sur les mammifères marins a été largement critiquée par le juge de la cour d’appel de Pau qui s’interroge sur la pertinence et la fiabilité de l’étude réalisée par RTE. Celle-ci omet de prendre en considération le cumul de l’ensemble des pollutions sonores émises par les travaux de bathymétrie réalisés par RTE.
De plus, certaines sources sonores comme les émissions du ROV (petit sous-marin évoluant autour du bateau) n’ont pas été prises en considération dans l’étude d’impact qui est donc considérée comme incomplète puisque le juge confirme que les travaux de bathymétrie ont bien un impact sur les mammifères marins qui se trouvent dans la zone. Ces derniers sont en effet affectés par la pollution sonore pour leur nourrissage et leur communication ce qui justifie l’intervention du juge des référés. Ainsi La cour d’appel de Pau vient confirmer, avec une argumentation encore plus détaillée, l’impact des travaux de bathymétrie de RTE sur les mammifères marins qui sont pour rappel tous strictement protégés sur le territoire national.

Pour se prononcer, le juge se fait la voix de scientifiques bioaccousticiens spécialistes des mammifères marins mais également de constatations régulièrement faites sur le terrain par des associations à l’instar d’Apex Cetacea. Ces dernières ont produit un rapport faisant état d’une raréfaction de la présence de mammifères pendant les travaux et notamment l’absence des grands mammifères marins dans le gouf de Capbreton comme les cachalots. Les associations ont aussi constaté la présence d’individus esseulés ayant des comportements anormaux.
Le juge note que l’impact du son sur les mammifères marins aurait justifié que des mesures efficaces de réduction et de compensation soient mises en œuvre dès le début des travaux.
Pour rappel, le gouf de Capbreton, hotspot de biodiversité et lieu essentiel pour la survie des mammifères marins (désigné comme zone de protection forte par les scientifiques de l’IUCN) est concerné par les travaux.
Cette décision de justice démontre la carence de RTE à appliquer le droit qui lui est imposé en vue de la préservation du vivant en général et en particulier des milieux marins. Il faut aussi souligner le manque des engagements de l’Etat à imposer à l’opérateur les règles de droit pour la protection stricte des espèces protégées.
Si un projet industriel affiche des objectifs de lutte contre le dérèglement climatique, il ne peut en aucun cas et en toute logique se faire sans une préservation corrélative stricte de la biodiversité
L’océan, grâce à la vie marine et aux écosystèmes côtiers, est le premier régulateur du climat et le principal puits de carbone. Nous ne gagnerons pas cette course contre la montre pour enrayer le changement climatique si nous sacrifions la biodiversité au passage.
Ce qui s’amorce avec la multitude de projets industriels en mer en France et ailleurs, est un crime contre la nature et contre les générations futures
Rappelons que d’autres espèces particulièrement fragiles ne bénéficiant d’aucune mesure de protection au niveau national vont être lourdement impactées par les travaux menés par RTE.
Les espèces de poissons migrateurs amphihalins sont dans des états de conservation très péjoratifs, comme le saumon Atlantique et l’esturgeon d’Europe. Après leur croissance en mer, la science a prouvé que ces deux espèces retrouvent leurs estuaires grâce à leur capacité de détection des champs magnétiques terrestres. Dans l’état actuel du projet avec quatre lignes autorisées à distance les unes des autres, les champs magnétiques induits par les câbles électriques viendront perturber l’orientation des poissons migrateurs qui rencontreront une difficulté supplémentaire, voire un véritable obstacle lors du retour vers leurs rivières natales
Nous ne pouvons qu’être particulièrement inquiets pour la suite des travaux. En particulier par l’absence d’une véritable prise en compte de la société RTE et de l’Etat sur la sensibilité et la fragilité des écosystèmes qui seront nécessairement impactés par le projet, mais aussi par le refus persistant de l’opérateur d’étudier sérieusement la possibilité d’un tracé alternatif le long des infrastructures terrestres existantes.
Autre point d’inquiétude, la caution environnementale apportée à un tel projet par la Surfrider Foundation. Comment Surfrider peut-elle soutenir cette interconnexion et compter RTE parmi ses partenaires stratégiques ? Il est très préoccupant que des ONGs qui prétendent veiller aux intérêts de l’océan apportent une caution environnementale à des projets industriels aussi destructeurs.
Articles complets sur le projet de l’interconnexion France/Espagne disponibles ici et ici