Depuis les années 1990, la France enregistre chaque année des épisodes importants d’échouages de mammifères marins, principalement des dauphins communs. Depuis 2016, des taux de mortalité extrêmes et en augmentation constante sont observés. Nous sommes désormais le pays européen qui enregistre le plus fort taux de mortalité due aux captures. Les autopsies des dauphins réalisées par les scientifiques ne laissent pas de place au doute: jusqu’à 90% des dauphins tués ont été victimes d’engins de pêche et présentent des traces visibles de coupures et abrasions, des plaies pénétrantes, fracture du rostre, queue amputée et hémorragie pulmonaire, symptomatique d’une mort traumatique par agonie en profondeur.

La mort ne peut être imputée à d’autres causes puisque tous ces dauphins présentent par ailleurs une condition physique satisfaisante, l’absence de lésion pathologique et une alimentation récente. Parmi les victimes, on dénombre de jeunes individus et des femelles gestantes et/ou lactantes… Aujourd’hui, plus que la pollution ou le changement climatique, c’est avant tout la pêche qui constitue la plus grande menace pour la survie des dauphins et des mammifères marins à court terme.

Depuis trois ans, Sea Shepherd est la seule organisation présente sur le terrain pour documenter les captures et permettre aux scientifiques d’identifier les pêcheries responsables. Chaque nuit, de décembre à mars, des navires de l’organisation patrouillent le Golfe de Gascogne. L’ONG a ainsi pû obtenir de nombreuses images de dauphins piégés dans des chaluts, y compris ceux équipés de répulsifs acoustiques mais aussi dans les mailles de petits fileyeurs de moins de 12 mètres.

Malgré des preuves accablantes, la France reste ancrée dans l’immobilisme.

Après avoir dans un premier temps accusé les tempêtes d’être responsables de la mort des dauphins, les Comités des Pêches, le Ministère de l’Agriculture et le Ministère de la transition écologique qui communiquent de concert, misent désormais sur l’opacité du secteur pour justifier l’absence de mesures suffisamment ambitieuses et efficaces.

Malgré une obligation légale, moins de 0,4% des dauphins capturés sont déclarés.

En théorie, les pêcheurs doivent déclarer les captures de dauphins depuis le 1er janvier 2012 mais il a fallu attendre le 1er janvier 2019 pour que l’Etat mette enfin en place un système de déclaration. A ce jour, malgré cette obligation légale et un nombre toujours croissant de dauphins tués, moins de 0,4 % des captures sont déclarées. De plus, aucun fileyeur “artisanal” de moins de 12 mètres, type de navire dont on compte plusieurs centaines d’unités dans le Golfe de Gascogne n’a enregistré de déclaration. Leur responsabilité a pourtant été établie grâce aux traces significatives sur les cadavres de dauphins et aux preuves vidéos récupérées en mer par Sea Shepherd.

Les répulsifs acoustiques : un leurre

En lieu et place de mesures concrètes comme l’interdiction des méthodes de pêche non sélectives sur les zones habitat des espèces protégées et l’installation de caméras embarquées pour documenter l’impact réel de la pêcherie, le Ministère de l’Agriculture et de la Transition Écologique ainsi que les Comités des Pêches continuent d’agiter des mesurettes inefficaces, voir contre productives à l’instar des répulsifs acoustiques (ou pingers). En effet, si leur efficacité reste à démontrer, des études ont établi que l’exclusion des mammifères marins de leur zone de nourrissage pouvait être encore plus préjudiciable à leur survie que les captures elles-mêmes (Van Beest and al, 2017).

La mascarade qui fait office de système d’observation

Les mesures d’observation des pêcheries du programme OBSMER vantées par l’Etat, ont largement prouvé leur inefficacité. “L’Europe vient d’interpeller la France sur la faiblesse de ses données qui représentent moins de 1% de l’effort de pêche” déclare Lamya Essemlali. “De plus, la présence des observateurs reste conditionnée au bon vouloir du patron de pêche et elle est inexistante sur les navires de moins de 12 mètres, dont la responsabilité dans les captures de dauphins a pourtant été établie par les scientifiques et confirmée par nos images” poursuit-elle.

Devant l’opacité d’un secteur qui représente la plus grande menace pour l’océan, Sea Shepherd a décidé de poursuivre l’Etat français en Justice. En effet, depuis 30 ans, la France manque à ses obligations. Son obstination à refuser de mettre en place des mesures efficaces la rend de fait directement responsable d’une hécatombe qui à court terme risque de faire disparaître complètement les dauphins des côtes françaises.

Le Tribunal administratif de Paris dans un jugement du 2 juillet 2020 a entendu les arguments de Sea Shepherd et a condamné l’Etat pour faute.

Dans sa décision le juge déclare que “les autorités françaises doivent être regardées comme ayant tardé à mettre en œuvre des actions concrètes au regard du constat d’épisodes récurrents, depuis les années 1990, accentués depuis 2016, de surmortalité de cétacés sur la façade atlantique, en particulier dans le golfe de Gascogne. Ce retard constitue une carence de l’Etat dans le respect de ses obligations découlant du droit de l’union européenne, en particulier son obligation de protection des cétacés et de contrôle des activités de pêcherie. Dans ces conditions […] Sea Shepherd France est fondée à soutenir que cette carence constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’État”.

Pour justifier la condamnation de l’Etat, le Tribunal s’appuie sur les éléments suivants :

– les espèces (dauphins communs, grands dauphins et marsouins) sont dans un état de conservation défavorable.
– la défaillance avérée de l’Etat dans la mise en place du système de contrôle des captures. (point 16)
– le retard dans la mise en œuvre d’un système de surveillance (Obsmer) et le caractère insuffisant des données recueillies.
– l’inadaptation des mesures qui se limitent à une simple obligation de déclaration et des pingers (dispositif de dissuasion acoustique visant à repousser les dauphins de leur aire de nourrissage qui constitue une forme de harcèlement et dont l’efficacité reste à prouver).

Sur le terrain juridique, Sea Shepherd a également engagé une plainte contre l’Etat français et d’autres États européens aux côtés de 26 ONG. Suite à cette action, la commission a sollicité l’avis du CIEM (Conseil International pour l’Exploration de la Mer). Ce dernier demande aujourd’hui aux États européens de mettre en œuvre des mesures d’urgence afin de protéger les mammifères marins (notamment par une fermeture spatio temporelle des pêcheries concernées et l’installation de caméras embarquées).

Suite à cette plainte commune, la Commission Européenne a ouvert début Juillet, une procédure d’infraction à l’encontre de la France, de l’Espagne et de la Suède.

Enfin, toujours sur le terrain juridique, Sea Shepherd vient tout juste d’engager une plainte visant spécifiquement l’Etat français devant la commission, afin de faire condamner la France devant les instances européennes et qu’il lui soit enjoint de prendre des mesures de protection réelles des mammifères marins.

“Nous souhaitons attirer l’attention de la nouvelle Ministre de la transition écologique, Madame Barbara Pompili, sur l’aspect fondamental de la préservation des dauphins en France et sur la nécessité de mettre en place des mesures urgentes et efficaces pour stopper l’hécatombe” conclut Lamya Essemlali. “Outre le combat juridique, nos navires recommenceront à patrouiller dans le Golfe de Gascogne dès l’hiver prochain et tant que cela sera nécessaire”.

Lire le jugement : https://newsletters.seashepherd.fr/images/juillet_2020/jugement1901535.pdf