Commentaire du Capitaine Paul Watson
La mer abrite de nombreuses créatures, petites et grandes. Ses eaux recèlent de nombreux mystères. L’un de ces mystères est l’orque, le prédateur le plus grand et le plus puissant de la planète.
Pourtant, il n’existe pas un seul cas documenté d’orque blessant ou tuant un être humain dans la nature. Elles pourraient si facilement le faire si elles le souhaitaient. Un humain n’est pas de taille à affronter une orque si celle-ci décide que nous sommes une proie.
Mais le fait même qu’il n’y ait jamais eu de décès causé par une orque sauvage indique un niveau d’intelligence très sophistiqué. Peut-être ont-elles compris que nous sommes tout simplement trop dangereux ou bien peut-être ne sommes-nous tout simplement pas assez appétissants. Nous ne le savons pas, mais nous savons, sur la base de toutes les preuves documentées, que les orques ne représentent pas une menace pour la vie humaine.
Il y a de cela 50 ans, j’ai rencontré un groupe d’orques dans la nature, dans le détroit de Bella Bella, en Colombie-Britannique. J’étais dans l’eau, dans la trajectoire d’un groupe d’orques de passage, celles qui s’attaquent aux phoques et aux lions de mer. Je les ai regardés s’approcher, puis disparaître, et lorsque le groupe a refait surface, il était juste à côté de moi. Stupidement et par un geste que je ne recommande à personne, j’ai saisi une nageoire dorsale qui passait et, soudain, j’ai été entraîné dans la mer sur plusieurs centaines de mètres, jusqu’à ce que je perde ma prise et que je bascule dans le sillage de l’orque.
J’étais stupéfait, le prédateur le plus puissant de la planète m’avait permis de faire de l’autostop, sans aucun geste agressif à mon encontre.
Alors qu’ils remontaient le détroit, la seule chose à laquelle je pouvais penser était que ces animaux mangeaient des lions de mer, et que ces derniers étaient bien plus gros que moi.
Récemment, quelques plaisanciers et pêcheurs se sont plaints de la “menace” des attaques d’orques.
Le dimanche 12 mai, le yacht Alboran Cognac de 15 mètres, avec un équipage de deux personnes, a coulé dans les eaux marocaines, en face de Gibraltar.
Selon l’équipage qui a abandonné le navire, la cause du naufrage est un groupe d’orques qui a heurté le gouvernail et ouvert une brèche dans la coque. Ce naufrage s’est produit dans une zone où plusieurs incidents ont été signalés ces dernières années, au cours desquels des orques ont endommagé des yachts.
La raison de ce que certains qualifient à tort d’”attaques” est inconnue mais le phénomène semble se limiter principalement à ce groupe d’orques. Les récits selon lesquels les orques seraient vindicatives n’ont aucune crédibilité. Au cours des centaines d’interactions avec cette population d’orques, jamais personne n’a été blessé, y compris dans les cas où certains membres de l’équipage, ayant abandonné le navire, se sont retrouvés complètement à la merci du prédateur le plus puissant de la mer.
Il n’y a aucune raison rationnelle pour un être humain d’avoir peur d’une orque.
J’ai nagé avec des orques à l’état sauvage à de nombreuses reprises et je n’ai jamais été menacé, pas plus que n’importe qui d’autre à ma connaissance.
La raison pour laquelle les orques endommagent les petits bateaux est un mystère et Sea Shepherd France a envoyé le navire Walrus dans la péninsule ibérique pour tenter de comprendre les raisons possibles, conseiller les navigateurs qui passent sur la zone et s’assurer qu’aucunes représailles ne soit menée contre les orques.
Hélas, ce dernier incident avec le Alboran Cognac a ravivé les velléités de certains propriétaires de yachts et de certains pêcheurs à tuer les orques au nom de la sécurité maritime. Il semble qu’à chaque fois qu’un animal est impliqué dans un incident qui endommage des biens, l’appel est lancé pour le punir. Dans le cas présent, ce sont les humains qui réclament vengeance et sont motivés par une peur irrationnelle.
Pourtant, il existe bien d’autres dangers en mer qui sont bien plus préoccupants que les orques ou même les requins. Outre les produits chimiques toxiques, le bruit et la pollution par les plastiques, il y a la menace omniprésente des conteneurs d’expédition.
Quelques orques peuvent peut-être causer un peu d’agitation, mais je n’ai pas vu une telle colère dirigée contre d’autres causes de naufrage de yachts et de bateaux de pêche, comme les conteneurs d’expédition semi-submergés.
Une des orques issue de la population d’orques ibériques prises en photo depuis le Walrus au large de Barbate (Espagne) en Mai 2024.
Quelque 2 000 à 10 000 conteneurs tombent en mer chaque année. La plupart coulent, mais beaucoup ne le font pas.
Mike Sargeant livrait un Farr 52 du Royaume-Uni à Las Palmas via Cascais lorsque le bateau est entré en collision avec quelque chose dans l’obscurité.
“Nous étions probablement à deux jours de Las Palmas”, se souvient Mike Sargeant. “Nous avions de bons vents et il était environ 1 h 30, il faisait nuit noire à 400 milles au large de Madère. Nous avancions à environ 8 nœuds, ce qui était plutôt lent – nous avions surfé à environ 17-18 nœuds. Je tenais la barre à bâbord et le bateau a fait BOUM et s’est arrêté net. C’était comme un accident de voiture. La collision m’a projeté hors de la barre, a cassé l’un des rayons de la roue en carbone et a projeté tout le monde sur le pont ».
En 2013, le MOL Comfort s’est brisé dans l’océan Indien, déversant un peu moins de 4 300 conteneurs, la plus grosse perte jamais enregistrée. Le 14 février 2014, le Svendborg Maersk a perdu 517 unités au large d’Ouessant.
John Jennings naviguait sur son Catalina 41 Coolabah avec sa femme et ses fils de Samoa à Suva, aux Fidji, en 2008, lorsqu’ils ont heurté un conteneur et ont coulé.
En 2006, le yacht Moquini de 42 pieds a été retrouvé flottant à l’envers à 500 miles de la côte sud-ouest de l’Afrique du Sud. Le concepteur du yacht, Alex Simonis, a accusé un conteneur d’être à l’origine de ce mystérieux naufrage. Le bateau avait perdu sa quille et six membres d’équipage ont été portés disparus, présumés noyés.
En 2000, deux capitaines de yacht britanniques ont trouvé la mort lorsque leur Farr 38, Rising Farrster, a chaviré alors qu’ils se rendaient à Sydney, en Australie.
L’étrange mentalité qui exprime sa colère à l’égard des orques pour les dommages causés aux yachts est la même que celle qui dénonce avec colère les requins, bien que les accidents avec les requins soient très rares.
Les risques de couler suite à une collision avec un conteneur semi-submergé sont bien plus grands pour les petits navires que suite à des dommages potentiels causés par les orques.
Les navires, y compris les yachts et les bateaux de pêche, heurtent régulièrement des baleines, des dauphins et des lamantins, souvent avec des conséquences mortelles.
Les humains représentent une menace bien plus importante pour la vie des cétacés que les cétacés ne l’ont jamais été pour la vie humaine, même si la mer est leur habitat et non le nôtre.
Les propriétaires de yachts peuvent être indemnisés pour leurs pertes par les assurances. Les bateaux endommagés peuvent être réparés, les bateaux coulés peuvent être remplacés. Ce qui ne peut être remplacé, c’est l’extinction d’une espèce. Et la sous-population d’orques ibériques est en danger critique d’extinction. Sa survie est bien plus importante que quelques yachts endommagés.