Un véritable activiste ne peut vivre dans la peur et la première étape pour vaincre la peur est de la reconnaître.
C’est parfois difficile, notamment lorsque cette analyse est inconsciemment refoulée.
Peu avant Noël, j’étais seul dans le Vermont. Ma famille était à New York. J’étais malade et je ne savais pas pourquoi. Simplement, je n’avais plus d’énergie, plus d’appétit et je pouvais à peine bouger. Le matin de Noël, je me suis forcé à conduire jusqu’à New York. J’ai rejoint ma famille à New York le jour de Noël, et je suis rentré dans le Vermont le lendemain.
J’ai commencé à me sentir mieux durant les 4h de trajet pour aller à New York, mieux encore quand je suis arrivé, et le lendemain de Noël, j’ai commencé à réfléchir à ce qui m’affectait et il m’est apparu que ma perte d’énergie juste avant Noël était plus psychologique que physique.
J’ai commencé à me demander s’il s’était passé quelque chose qui aurait pu provoquer cela et je me suis souvenu avoir appris, la semaine précédente, que deux harponneurs japonais se trouvaient dans l’océan Austral. Le Yushin Maru 2 et le Yushin Maru 3.
Ces criminels ont l’intention de recommencer à tuer des baleines. Pas cette année, puisqu’ils n’ont pas de navire-usine à disposition, mais peut-être l’année prochaine et si c’est le cas, je ne pourrai pas les laisser faire.
Les choses n’arrivent pas par hasard.
L’année a été difficile pour moi, en particulier parce que j’ai été trahi par des personnes en qui j’avais confiance. Tout ce que j’ai construit pendant 45 ans m’a tout simplement été volé. Heureusement, tout le monde ne m’a pas trahi et les amis qui me sont restés fidèles, à moi et à notre cause, m’ont donné une force immense.
Robert Hunter m’a dit un jour, si tu as du pouvoir, ne le laisse pas te corrompre. Ne garde pas la main, partage-le, donne du pouvoir aux autres, donne-leur la chance de grandir et de changer les choses.
C’est ce qu’il a fait avec moi. Il m’a donné un défi. Il a permis à ceux qui m’ont exclu du conseil d’administration de Greenpeace en 1977 d’y parvenir. Il les a soutenus mais après mon départ, lorsque j’ai fondé Sea Shepherd, il était là pour me soutenir. Il avait été mon leader au sein de Greenpeace, il a appuyé mon départ de Greenpeace et a jeté les bases pour que je prenne une autre direction. Et lorsque j’ai changé de cap en quittant Greenpeace, il m’a rejoint, non pas en tant que leader mais comme mon égal.
Cela a fonctionné parce qu’il me faisait confiance et que, même si, d’un point de vue extérieur, il semblait qu’il m’avait trahi en apparences, il savait que je lui faisais confiance en retour.
Et étrangement, parmi tous les dirigeants de Greenpeace en 1977 qui ont voté mon exclusion du conseil d’administration, la plupart ont fini par me soutenir à travers Sea Shepherd.
J’ai quitté Greenpeace plus motivé que jamais, en pleine conscience de ce qui m’incombait et animé de la passion des tâches à accomplir. Bob Hunter savait que, pour moi, la seule façon d’avancer était de laisser Greenpeace et de prendre un nouveau cap.
Bob était avec moi le jour où ma vie a irrémédiablement changé en juin 1975, le jour où j’ai regardé dans l’œil de ce cachalot mourant dans l’océan Pacifique Nord. Le jour où j’ai fait le serment de consacrer ma vie à la protection et à la défense de la nation des cétacés. J’ai fait la promesse à ce grand Esprit de l’eau que j’éradiquerais la chasse à la baleine de mon vivant.
Je devais quitter Greenpeace pour y parvenir. Cela nécessitait une approche non-violente, mais plus agressive. C’est ainsi que j’ai traqué le célèbre baleinier pirate Sierra, que je l’ai éperonné et coulé. J’ai ensuite coulé la moitié de la flotte baleinière espagnole, mettant ainsi fin à la chasse à la baleine espagnole et aux opérations des baleiniers pirates Cape Fisher, Susan et Theresa.
J’ai envahi la Sibérie soviétique en 1981 pour dénoncer la chasse à la baleine illégale pratiquée par la Russie et, en 1986, j’ai organisé le sabotage de la moitié de la flotte baleinière islandaise et l’arrêt de la chasse à la baleine en Islande pendant 17 ans. J’ai ensuite affronté la Norvège et coulé quatre baleiniers norvégiens. Enfin, après dix ans de confrontation avec la flotte baleinière japonaise en Antarctique, ces opérations ont abouti à son retrait du sanctuaire baleinier de l’océan Austral.
Lorsque les gens me demandent où j’ai trouvé le courage de faire tout cela, de me mettre dans des situations où la fuite et/ou la survie étaient incertaines, je leur réponds que j’ai simplement ressenti cette nécessité, puisé ce courage dans le regard de cette baleine à l’agonie.
Au cours de toutes ces années, j’ai recruté des milliers de bénévoles et certains d’entre eux se sont dévoués à la cause pendant de nombreuses années. Je les ai encouragés, soutenus, formés et j’ai fait confiance à nombre d’entre eux, plus que je ne l’aurais dû.
Ce fut une erreur en ce qui concerne trois hommes en particulier.
Le premier a rejoint mon équipage en tant que cuisinier en 2002 et je l’ai encouragé à chaque étape jusqu’au poste de capitaine. Le second a rejoint mon équipage en 2005 en tant que matelot de pont et je l’ai encouragé et guidé à chaque étape jusqu’au poste de capitaine. J’ai donné le commandement du Robert Hunter au premier, et celui du Bob Barker au deuxième.
Ils avaient gagné ma confiance, du moins je le pensais.
Avec la confiance vient le partage du pouvoir.
Lorsque le Japon m’a inscrit sur la Notice Rouge d’Interpol pour conspiration d’intrusion sur un navire baleinier, sur la base d’un accord entre le Japon et Peter Bethune, j’ai été contraint à l’exil en mer, puis à rester sur la terre ferme. L’accord conclu par Bethune prévoyait une peine avec sursis en échange du témoignage selon lequel je lui avais ordonné de monter à bord du baleinier. Un an plus tard, il a déclaré sous serment qu’il avait menti en échange de sa liberté. Malgré cet aveux, le Japon a refusé d’abandonner les poursuites contre moi.
Cette situation a également fait naître ma confiance envers le troisième homme, pour son aide à mon retour d’exil et pour m’avoir permis de retrouver ma place au sein du conseil d’administration de Sea Shepherd, duquel j’avais été évincé pendant mon exil.
C’est ma confiance en ces trois hommes qui m’a value d’être manipulé et de leur céder la main sur l’organisation et le mouvement que j’avais créés en 1977.
C’est mon erreur et donc ma faute. J’ai perdu ce que j’ai créé parce que j’ai cru naïvement qu’ils voulaient la même chose que moi.
Depuis, j’ai compris pourquoi ils ont été capables de me trahir.
Aucun d’entre eux n’a jamais posé son regard dans l’œil d’une baleine à l’agonie.
J’ai également réalisé que j’avais failli à ma promesse faite à cette baleine mourante il y a tant d’années. J’ai permis au Japon de me manipuler par crainte pour ma liberté. À cause de la Notice Rouge, je ne suis pas retourné en mer.
Toute ma vie, j’ai refusé d’être influencé par la peur. Cela m’a permis de faire face aux baleiniers, aux chasseurs de phoques et aux braconniers en haute mer. J’ai pu le faire parce que je ne ressentais pas la peur.
Cependant, la peur peut se glisser dans le subconscient et tronquer la perception.
Aujourd’hui, j’ai réalisé que je refoulais ma peur d’être extradé au Japon, me mentant à moi-même, cherchant des justifications, me cachant derrière mes obligations envers ma famille principalement.
Reconnaître cela signifie que je ne peux plus me laisser contrôler par la peur, car cela me détruirait moralement si je le faisais en conscience.
La conséquence de cette peur a été de placer ma confiance dans de mauvaises mains.
Ils se sont emparés de quelque chose qui ne leur appartenait pas, mais pire encore, ils l’ont corrompu.
Je n’ai pas créé Sea Shepherd pour ramasser des déchets sur les plages ou pour recevoir des ordres de gouvernements corrompus qui soutiennent la chasse à la baleine japonaise. Je n’ai pas créé Sea Shepherd pour collaborer avec des entreprises de pêche industrielle. La collaboration entre Sea Shepherd Australie et la société Austral Fisheries/Maruha Dichiro me rend physiquement malade. C’est cette société qui était propriétaire du baleinier pirate Sierra que j’ai pourchassé, éperonné et coulé il y a 42 ans. Nous avons risqué nos vies et notre liberté pour stopper ce baleinier pirate. Voir cette entreprise s’associer à Sea Shepherd Australie aujourd’hui est un véritable coup de poignard.
Ce que j’ai créé m’a été dérobé au point que mes droits sur le nom que j’ai pensé et les logos que j’ai conçus ont été contestés et récupérés. Le pire dans tout cela, est que j’ai permis que cela se produise parce que j’ai enfreint la seule règle cardinale de tout vrai guerrier activiste. J’ai cédé à la peur.
Pourtant, après ces quelques jours de maladie où mon corps s’est vidé de toute énergie, après cette prise de conscience face à la reddition, je me sens vivant à nouveau, rempli de motivation, d’inspiration et surtout, d’un courage renouvelé.
Que signifie tout cela ?
Cela signifie que le nom et les logos qu’ils m’ont volés n’ont pas d’importance. L’esprit et l’objectif demeurent.
Et je sais maintenant en qui je peux réellement placer ma confiance. Des personnes qui ont vu ce que j’ai vu, qui savent ce que j’ai ressenti en regardant dans l’œil d’une baleine ou d’un dauphin mourant. Ces personnes ne pourraient jamais me trahir, car cela reviendrait à se trahir elles-mêmes.
De toutes les antennes Sea Shepherd à travers le monde, la France, le Royaume-Uni et le Brésil sont restés fidèles aux valeurs originelles de Sea Shepherd. L’Allemagne, l’Italie, la Belgique, la Nouvelle-Zélande, la Suisse, l’Espagne et d’autres groupes ont choisi de se ranger du côté de ceux qui ont volé ce que j’ai créé.
Pourquoi ces trois groupes et pas les autres ?
La raison m’est apparue alors que je regardais la lune et les étoiles la nuit dernière. Nous sommes liés par une expérience commune.
Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, a regardé dans les yeux d’un rorqual commun mourant, d’une orque et d’un béluga. Elle a vu ce que j’ai vu.
Nathalie Gil, directrice de Sea Shepherd Brésil, a tenu un dauphin à l’agonie dans ses bras et l’a vu mourir sous ses yeux.
Rob Read, directeur de Sea Shepherd U.K, a été témoin de la mort de centaines de baleines pilotes et de dauphins dans les îles Féroé et de centaines de rorquals communs en Islande.
C’est notre lien de confiance, un lien forgé à partir du sang innocent des espèces de cétacés que notre propre espèce a massivement massacré de manière impie. C’est un lien tissé d’un mélange de désespoir, de frustration, de colère, de culpabilité et de passion.
Ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent pas vraiment comprendre. Nous avons vu le reflet de quelque chose dans l’œil d’une créature intelligente et pleinement consciente, et nous avons compris ce que c’était. C’était de la honte. La honte d’être membre d’une espèce capable d’infliger d’aussi indicibles atrocités.
La découverte du lien de confiance a été une leçon dure et coûteuse.
J’ai fait l’erreur de placer ma confiance en trois hommes qui n’ont jamais vécu cette expérience. Ils n’ont pas la moindre idée de ce que cela peut induire.
C’est pour cette raison que l’un d’entre eux a pu me manipuler, moi et d’autres, pour prendre le contrôle de ce qu’il n’avait pas créé. Pour cette raison également, que deux de mes capitaines, en qui j’avais pourtant confiance, le soutiennent maintenant, par peur de poursuites judiciaires. Cela explique pourquoi ils ont refusé toute discussion depuis, refusé de répondre à mes questions ou de fournir des explications pour m’avoir renvoyé du Conseil sans réunion, discussion ou vote. J’ai simplement reçu un courriel au ton sec, m’informant de mon licenciement sans explication. Ils ne m’ont plus reparlé depuis.
Reconnaître la peur, c’est la vaincre.
Je ne peux pas résoudre les leurs, mais je peux reconnaître la mienne.
J’ai cédé à la peur d’une extradition vers le Japon. Bien qu’il s’agisse d’une accusation assez simple de conspiration d’intrusion, personne n’est inscrit sur la Notice Rouge pour intrusion. La Notice Rouge d’Interpol est réservée aux tueurs en série, aux criminels de guerre et aux grands trafiquants de drogue. Je crois être la seule personne de l’histoire à être inscrit sur la Notice Rouge pour intrusion et cela illustre deux choses. La colère et l’humiliation du Japon suite au retrait de leur flotte baleinière du sanctuaire de l’océan Austral, et le fait qu’il s’agisse d’un acte politique, traduit par une sanction sévère et la perspective d’être enfermé dans une prison japonaise pendant des années.
Je me suis permis d’oublier mon engagement absolu pour l’éradication du crime de Cetacide. Cet engagement implique d’accepter des sacrifices et des défis, y compris celui d’affronter l’accusation du gouvernement japonais.
Ma place est à la barre d’un navire rapide et puissant qui pourchasse les tueurs de baleines et de dauphins et j’ai la ferme intention d’y retourner, quels qu’en soient les risques ou les conséquences.
Si nécessaire, je suis prêt à me présenter devant un tribunal japonais pour défendre, non pas moi-même, mais les victimes de leurs harpons. Il est peut-être temps de faire le procès du Japon pour ses péchés à travers mon procès, un procès sur les crimes véritables, ceux qui entraînent la destruction et la mort.
J’ai vu trop de morts et de souffrances, trop d’agonies infligées par la cruauté institutionnalisée de l’humanité. Et j’ai aussi vu trop de gens qui exploitent les cétacés pour le profit et pour sécuriser leur position, des gens qui se disent empathiques et concernés mais sont incapables de prendre les risques nécessaires.
Une guerre insensée fait rage entre l’humanité et la nature. Les personnes qui se hissent dans les arbres sur le point d’être coupés et se menottent aux bulldozers le comprennent. Pour ceux qui refusent de voir la dure réalité de notre campagne de destruction de la nature, les actions de personnes comme nous, sont incompréhensibles.
Il fut un temps où je demandais aux membres d’équipage potentiels s’ils étaient prêts à mourir pour une baleine ? Et si non, pour quelle raison ?
Dans notre société, risquer sa vie pour un drapeau, un bien immobilier, du pétrole ou une religion est considéré comme acceptable et noble. En quoi serait-ce différent si nous privilégions la vie plutôt que le profit ?
De manière générale, cette question n’est plus posée par Sea Shepherd aux membres d’équipage.
Les responsables de campagne de Sea Shepherd Origins et moi-même continuons à la poser.
Ignorer la peur, c’est accepter la nécessité de prendre des risques.
Le risque insuffle l’inspiration, la motivation et l’imagination.
La médiocrité n’inspire rien.
L’un des trois hommes tente de me poursuivre en justice, réclamant la propriété du nom que j’ai créé et des logos que j’ai conçus parce qu’il les a secrètement déposés dans plusieurs pays. Il veut m’empêcher de revenir à l’activisme de quelque manière que ce soit. Ses menaces juridiques, appuyées par ses avocats, trahissent son objectif de contrôler ce qu’il n’aurait jamais pu créer. Les deux autres, réagissant par peur des menaces du premier, m’ont ignoblement censuré.
Ils me retirent des sites internet, m’effacent de notre histoire et m’invisibilisent. L’un des capitaines a récemment réalisé une vidéo d’adieu au Bob Barker, le navire que j’ai obtenu pour Sea Shepherd en 2010, le navire dont je lui ai aveuglément confié le commandement pour les campagnes dans l’océan Austral. Je ne suis pas mentionné dans cette vidéo, puisqu’il cherche à s’imposer comme la nouvelle figure de proue de l’activisme au sein de Sea Shepherd. Pire encore, il a mis au rebut ce navire qui aurait pu connaître une dernière campagne glorieuse. Il n’avait tout simplement ni la passion ni le courage nécessaires.
Je suis inquiet de ce nouveau visage peu inspiré et enclin aux compromis.
Je n’ai aucun problème à céder le pouvoir et je ne suis pas la meilleure personne pour porter Sea Shepherd dans le futur. Il faut quelqu’un de plus jeune, plus motivé, plus passionné et plus courageux que moi.
Plus important encore, cela doit être quelqu’un qui a vu la lumière de la vie, cette lueur envoûtante de la conscience de soi, vaciller et mourir dans l’orbe pâle de l’âme.
Pour se placer au même niveau d’importance qu’une baleine, un dauphin, un morse ou un phoque, il faut un degré d’humilité et de perception que peu peuvent concevoir.
C’est ce que nous voyons lorsque nous regardons dans les yeux d’un autre être conscient, sensible et intelligent.
Nous voyons ce que nous devrions être et non le produit de notre conditionnement social. Nous voyons notre connexion avec le reste du Vivant et, ce faisant, nous voyons le reflet notre âme.
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