Communiqué de presse / 13 septembre 2023.


Le 20 mars dernier, le Conseil d’État a ordonné au Gouvernement de prendre des mesures dans un délai de 6 mois pour protéger les petits cétacés (notamment les dauphins communs et marsouins, espèces protégées), victimes des filets de pêche dans le Golfe de Gascogne. Face à une menace grave pour leur survie, il devait prévoir des fermetures temporaires des pêcheries à risques, conformément aux recommandations scientifiques.

dauphin filet

 A quelques jours de l’échéance, le Gouvernement vient de publier un projet d’arrêté soumis à consultation du public.  Le dispositif envisagé correspond à un scénario “à haut risque” pour les scientifiques et est très éloigné de l’injonction du Conseil d’État. Dérogations sur dérogations sont prévues, le Gouvernement navigue à vue et préfère risquer l’extinction des dauphins et des marsouins plutôt que d’accompagner les pêcheurs vers la transition.

Une menace grave pour la survie des petits cétacés dans le Golfe de Gascogne

Cet hiver 2022-2023, plus de 1 300 dauphins communs se sont échoués sur nos côtes, ce qui porte à environ 10 000 le nombre de morts. Le dauphin commun est une espèce protégée à l’échelle européenne et la France est tenue de prendre des mesures pour garantir sa survie. Depuis de nombreuses années, en dépit des alertes des scientifiques, de la société civile, de l’Union européenne, le Gouvernement refuse d’agir. La situation est dramatique la population de Dauphins communs dans l’Atlantique Nord-Est pourrait bien s’éteindre

Les prédateurs marins supérieurs sont essentiels au maintien de l’équilibre écosystémique. Ils assurent des fonctions clés de régulation des flux énergétiques au sein des écosystèmes, absorbent du carbone, et peuvent parfois être des espèces clés de voûte dont la présence est associée à une forte diversité biologique. Personne ne sait ce qu’il se passerait si les dauphins disparaissent du Golfe de Gascogne.

Une décision de justice conforme aux recommandations scientifiques

En mars dernier, saisi par Sea Shepherd France, France Nature Environnement  et l’association Défense des Milieux Aquatiques, le Conseil d’État a rappelé le gouvernement à ses obligations de protéger les cétacés en lui ordonnant d’agir sous 6 mois. Le Gouvernement devait prendre des mesures pour réduire les captures à un niveau compatible avec un maintien en état de conservation favorable des dauphins communs dans le Golfe de Gascogne. Il devait prendre des mesures appropriées de fermeture des pêches impliquées en suivant les connaissances des scientifiques.
D’après leurs différents scénarios, une fermeture de tous les métiers pendant 4 mois (3 mois en hiver mi-janvier à mi-mars et 1 mois en été mi-juillet à mi-août) des pêcheries à risques[1] , et l’équipement par des répulsifs acoustiques (pingers) des chaluts bœufs et pélagiques le reste de l’année, garantiraient la réduction la plus significative des captures pour mettre les cétacés hors de danger.

Dérogations à la fermeture de la pêche : un mépris de justice qui pourrait conduire à l’extinction du Dauphin commun au large de nos côtes

Emmanuel Macron, jugeant les scènes de dauphins échoués le long de nos côtes « choquantes », avait bien pris soin de rappeler concernant la décision du Conseil d’État que « c’est une décision de justice, il faut la respecter ! ». Respect élémentaire dans un État de droit.

Le gouvernement vient de publier un projet d’arrêté qui prévoit dérogation sur dérogation à la fermeture de la pêche dans l’irrespect de la décision du Conseil d’État et rend illisible la politique des pêches, pourtant fortement dépendante des subventions publiques.

Alors que les scientifiques recommandent la fermeture de tous les métiers à risques, la Senne méthode de pêche à risque pour les cétacés ne sera pas concernée par la fermeture. Les 36 navires qui ont exercé cette activité durant l’hiver 2022-2023 dans le Golfe pourront pêcher comme à leur habitude.

Alors que tous les bateaux qui pêchent avec des méthodes à risques devraient être concernés par la fermeture, la pêche reste ouverte pour tous les bateaux de moins de 8 mètres, qui ne seront pas concernés par les fermetures. 17% des bateaux de la flotte de pêche de la façade atlantique font moins de 7 mètres. Ce sont près de 3 900 bateaux[2]  qui pourront pêcher sans changement de pratiques …

Cette dérogation va à l’encontre des durées de fermetures recommandées par les scientifiques, de 3 mois l’hiver et 1 mois l’été qui permettraient de réduire de 88% les captures, l’arrêté prévoit seulement une fermeture d’un mois, de mi-janvier à mi-février, pour 2024, 2025 et 2026. Cette durée de fermeture est bien trop courte pour atteindre l’objectif d’un seuil de mortalité non dangereux pour les cétacés et ne réduiraient les captures que de 27% (Scénario I du CIEM).

Pour l’année 2024, de très nombreuses dérogations conduisent à une ouverture de fait de la pêche :

  • L’interdiction ne s’applique pas aux navires équipés de pingers alors qu’il est reconnu que ces dispositifs de dissuasion acoustique ne sont pas assez efficaces, on constate plus de 50% de taux d’échec[3] dans certains cas. Pire, certaines études concluent également à ce qu’une utilisation excessive de tels dispositifs est susceptible de créer un effet d’éviction des petits cétacés de zones de leur habitat présentant un fort enjeu nutritif essentiel à leur survie. Équiper les 512 navires français[4] à risques en pingers dans le Golfe de Gascogne pourrait exclure les Dauphins de leur habitats essentiels à leur survie.
  • L’interdiction ne s’applique pas aux navires équipés de caméras embarquées. Le seul fait de mettre une caméra à la remontée du filet n’empêchera pas de remonter des dauphins.
  • Pour les navires qui se sont engagés à s’équiper mais qui ne peuvent pas être effectivement équipés avant le 15 janvier 2024 pour des raisons matérielles d’indisponibilité des équipements ou d’incapacité des prestataires de l’installer à bord du navire, la fermeture est à la carte. Une période fixe de 10 jours du 22 janvier au 1er février inclus 2024 et deux périodes de 10 jours consécutifs à la carte entre le 15 janvier et 31 mars.
  • Enfin, au bon vouloir du marin-pêcheur, l’analyse des données collectées ne peut porter que sur les captures de mammifères marins et met de côté toutes les autres espèces protégées qui seraient victimes de certaines méthodes de pêche…

Le Gouvernement choisit d’ignorer des solutions gagnant-gagnant pour l’océan et les pêcheurs

Le Gouvernement pourrait pourtant mettre en place ces fermetures et indemniser les pêcheurs : plusieurs millions d’euros de fonds européens sont là pour ça. Le « FEAMPA » fonds européen pour les affaires maritimes la pêche et l’aquaculture permettrait d’indemniser des pêcheurs pour les pertes liées à leur arrêt d’activité dû à des mesures de conservation. Plus de 100 millions d’euros ont été mis sur la table avec le plan de relance et lors des assises de la pêche et des produits de la mer.

Les fermetures temporaires sont des mesures indispensables, écologiquement bénéfiques pour les populations marines et socialement justes pour ceux qui tirent leurs revenus de la pêche. L’expérience a montré que ces temps de repos biologique aboutissent à une amélioration spectaculaire de l’état de santé des écosystèmes marins et permettent de briser le cercle vicieux qui pousse à la surpêche sans pour autant améliorer la qualité de vie des pêcheurs. Pêcher moins, préserver l’écosystème et vivre décemment de son métier sont autant de bénéfices inatteignables sans la mise en place de ces fermetures à court terme et sans une réforme complète du système économique de la pêche à moyen terme.

De façon globale, la surpêche actuelle ne permet pas aux poissons de grandir suffisamment et de se reproduire, ce qui compromet à terme la survie de tous ceux qui vivent de la mer, dauphins, poissons, pêcheurs mais également l’humanité dans son ensemble.

C’est ainsi que les fermetures recommandées par les scientifiques et exigées par le Conseil d’État afin de donner un sursis indispensable aux dauphins du Golfe de Gascogne vont soulager les populations de poissons exploitées par les pêcheries et aider à un retour à l’équilibre global de l’écosystème dont tout le monde bénéficiera. Elles seront bénéfiques pour différentes espèces comme la sole, le merlan dont les populations ne sont pas dans le meilleur des états mais aussi pour le merlan bleu et le maquereau de l’Atlantique actuellement surpêchés.

D’ailleurs, des fermetures spatio-temporelles de pêche ont déjà été mises en œuvre en France dans le Golfe du Lion en 2020, visant à restaurer les populations de poissons en Méditerranée d’une durée allant de 6 à 8 mois. Le monde de la pêche a pu s’adapter tout en étant aidé sur une durée bien supérieure à celle demandée pour protéger les cétacés.

Les demandes des associations

Le Gouvernement mène le monde de la pêche non durable vers un naufrage alors que les fermetures temporaires sont une stratégie gagnant-gagnant pour l’océan et les pêcheurs.
Devant le risque d’extinction probable du Dauphin commun et du marsouin, c’est une action choquante de la part du Gouvernement et en particulier d’Emmanuel Macron, d’Hervé Berville secrétaire d’État à la « mer », qui se font les fossoyeurs actifs de la biodiversité marine en toute connaissance de cause.
Nos associations demandent que ce projet d’arrêté soit modifié en suivant les recommandations du scénario N du CIEM, le plus conforme à la décision du Conseil d’État, ce qui permettrait de réduire de près de 88% les captures et qu’il prévoie l’accompagnement financier des pêcheurs.
Nos associations ont informé sans délai la Commission européenne afin qu’elle intervienne de manière urgente.

Contacts presse

Pour Sea Shepherd France : Lamya ESSEMLALI, Présidente de Sea Shepherd France – media@seashepherd.fr 07 60 26 22 77

Pour France Nature Environnement :
Elodie MARTINIE-COUSTY, experte et membre du réseau Océans, mers et littoraux de France Nature Environnement : 06 08 07 14 16

Jérôme GRAEFE, juriste à France Nature Environnement : 06 62 70 59 80

Pour DMA : Philippe GARCIA, Président de Défense des Milieux Aquatiques

maigre42@gmail.com  07 82 46  99 03

[1] La pêche au trémail, les filets maillants, les chaluts de fond, les chaluts pélagiques, en particulier, les chaluts pélagiques en bœuf et à la senne danoise

[2]Estimation du nombre de navires calculé à partir du nombre total de 23 094 navires représentants l’activité halieutique française dans la zone CIEM VIII durant les périodes hivernales présenté en GT captures.

[3] 66e Rapport de plénière, le Comité Scientifique, Technique et Économique des Pêches

[4] Nombre de navire calculé à partir l’activité de pêche dans le golfe de Gascogne des flottilles à risque françaises par engin en 2023 présenté en GT captures.