Lamya appelle Paul Watson

Cette photo a été prise au Grand Rex le 1er juillet 2022 lors de l’avant-première du documentaire « CoExtinction ». Je me tiens devant 2000 personnes, mon téléphone est en haut-parleur, orienté vers le micro.

Au bout du fil, Paul Watson s’adresse depuis les Etats-Unis, à l’ensemble des personnes présentes.

Paul ne le voit pas, il ne le sent pas mais ces quelques minutes seulement sont d’une grande intensité, c’est un moment suspendu et une émotion palpable qui fait de cet instant une parenthèse à part dans cette soirée. Paul a les mots justes qui touchent les cœurs parce qu’ils viennent du cœur, le courage et la voix de l’authenticité, de tout ce qui est rattaché à un personnage hors du commun, qui a acquis pour toujours le statut de grand défenseur de l’océan.

« Aujourd’hui, Sea Shepherd, ça n’est plus Paul Watson, c’est nous ». C’est ce qu’Alex Cornelissen, directeur exécutif de Sea Shepherd Global (entité fondée en 2013 et basée à Amsterdam) m’a dit quelques mois plus tard, en octobre 2022 quand je suis allée le voir aux Pays-Bas pour tenter d’organiser une discussion entre lui et Paul.

Paul avait invité la totalité du Conseil d’Administration de Global et l’ensemble des directeurs nationaux de Sea Shepherd (Belgique, Suisse, Allemagne, Italie, Grèce, Espagne, Portugal…etc) à se mettre autour d’une table avec lui pour échanger sur les raisons réelles de son éviction du board de Global et sur l’avenir de Sea Shepherd.

Mis à part moi, seule Nathalie Gils (Sea Shepherd Brésil) et Rob Read (Sea Shepherd UK, désormais CPWF UK) ont répondu à Paul.

Voilà donc des directeurs et directrices d’antennes nationales qui se revendiquent du mouvement Sea Shepherd, qui ne cherchent même pas à savoir pourquoi le fondateur du mouvement a été évincé, qui ne s’intéressent pas à sa version des faits et qui ne daignent même pas répondre à ses messages. Ces personnes, qui ne disposeraient pas de l’outil qu’elles ont aujourd’hui si Paul Watson n’était pas qui il est, se contentent aujourd’hui de la version unilatérale que leur ont donnée Alex Cornelissen et Peter Hammarstedt.

Le même discours que m’a tenu Alex quand je suis allée le voir à Amsterdam : « Aujourd’hui Sea Shepherd, ça n’est plus Paul, Paul est devenu un caillou dans la chaussure de l’organisation et je ne le laisserai pas nous détruire. Ceux qui dirigent aujourd’hui, c’est bien les directeurs de Global, c’est moi, Peter, c’est toi. C’est nous qui faisons Sea Shepherd aujourd’hui. Nous méritons d’avoir les rênes, nous avons suffisamment bossé pour ça ». Alex a même ajouté une phrase qui m’a laissée sans voix « Quand Peter et moi donnons des conférences aujourd’hui, plus personne ne nous demande où est Paul. Les gens l’ont oublié ».

J’avais l’impression de prendre un coup de poing dans l’estomac.

J’étais littéralement sidérée d’entendre ces propos venant de celui que je connais depuis plus de 18 ans, ce compagnon de route qui a démarré en tant que cuisinier sur le bateau, à qui Paul a tout donné et qu’il a hissé au rang de directeur exécutif de l’entité en charge de coordonner les navires de la flotte, celui à qui Paul n’a jamais fait d’ombre, envers qui il a toujours été bienveillant, confiant, aimant… Lui et Peter Hammarstedt, que je considérais comme un frère d’armes, que Paul considérait comme un fils… les deux ont décidé aujourd’hui que le père fondateur a fait son temps et que l’heure est venue de le balancer par-dessus bord. J’étais en état de choc.

Sur le chemin du retour d’Amsterdam, j’essayais de comprendre le séisme que cette discussion représentait. J’étais submergée par un sentiment d’ingratitude, d’injustice, d’écœurement… et par-dessus tout, par l’évidence qu’Alex et Peter se voilent la face. Peter m’avait dit « Oui ça fera des vagues qu’on vire Paul mais les gens oublieront. Regarde les scandales qui jalonnent l’histoire du WWF. Les gens les soutiennent toujours. Ça sera pareil pour nous. »

Personne n’a oublié Paul et personne ne doit jamais l’oublier.

S’il a été moins présent ces dernières années à cause du mandat d’arrêt japonais qui a limité ses déplacements et l’a empêché de retourner en mission, il n’en demeure pas moins la plus forte et la plus légitime incarnation de Sea Shepherd. Ça n’est en aucun cas diminuer notre contribution à tous que de reconnaitre ça. Je ne me suis jamais sentie écrasée par l’aura ou le charisme de Paul, je n’ai jamais considéré que je n’avais pas la reconnaissance que je mérite. Ces revendications me paraissent complètement déplacées.

Paul a une très forte présence dénuée de tout mépris, de toute arrogance. Il est une inspiration bienveillante qui tire vers le haut. Il n’est pas parfait et pour cause, s’il l’était, il ne serait pas humain. Et c’est avec une grande lucidité sur ses imperfections que j’ai néanmoins conscience qu’à travers lui, j’ai la chance de côtoyer un homme hors du commun ; il est un ami, un mentor et un autre père pour moi. Comme je pensais qu’il l’était pour les 4 qui l’ont trahi et surtout pour Peter et Alex.

Contrairement à tous les directeurs et directrices actuel(le)s des antennes nationales de Sea Shepherd qui, pour la plupart ont été placés là par Alex et qui ne connaissent Paul que de loin, qui pour beaucoup ne l’ont même jamais rencontré, Peter et Alex font partie de cette génération au sein de Sea Shepherd qui a navigué avec Paul, qui a festoyé avec lui, qu’il a considérée comme des membres de sa famille. La trahison n’en n’est que plus violente. Mais rien n’arrive par hasard et nul doute que ce qui arrive aujourd’hui arrive pour une raison. A nous d’en tirer les leçons pour l’avenir.

Lamya Essemlali

Présidente de Sea Shepherd France